Les cancers de la peau sont fréquents, la dermoscopie est un outil dont l’utilité est prouvée dans leur dépistage. Dans un contexte de démographie médicale contrainte, un nombre de plus en plus important de médecins généralistes se forment au dépistage des cancers de la peau et à la dermoscopie.
CE QUE NOUS FAISONS
Les cancers de la peau sont très fréquents, représentant environ 80 000 cas par an en France1. Le mélanome est responsable de plus de 75 % de la mortalité liée aux cancers cutanés et son incidence n’a cessé d’augmenter pendant des décennies2. Sa détection précoce est le seul moyen connu de réduire son impact en santé publique3,4. Au-delà du mélanome, les autres cancers de la peau, carcinomes spinocellulaires et basocellulaires, représentent un moindre danger létal mais peuvent entraîner des retentissements esthétiques et fonctionnels importants. En France, le dépistage des cancers de la peau est un rôle traditionnellement dévolu aux seuls dermatologues. À l’inverse, dans d’autres pays, les médecins généralistes sont très impliqués dans ce repérage précoce, comme en Australie5 ou au Royaume-Uni6. Certaines règles simples sont connues pour repérer des cancers de la peau : ABCDE, le vilain petit canard… Elles sont toutes utiles mais se révèlent souvent insuffisantes, ne permettant de dépister des mélanomes qu’à un stade avancé et n’étant pas assez spécifiques dans le diagnostic différentiel entre nævus et mélanome, avec trop de faux positifs.
Dermoscopie
La dermoscopie est une technique diagnostique facile d’utilisation, rapide (en moyenne un examen cutané complet dure 142 secondes7) dont le bénéfice dans le dépistage des cancers cutanés est classé en grade A du point de vue de la médecine par les preuves8,9. Elle consiste à s’affranchir de la réflexion de la couche cornée de la peau, en utilisant soit l’immersion (application d’un gel entre le dermoscope et la peau), permettant une bonne visualisation des structures superficielles de la peau, soit la lumière polarisée (permettant de voir « à travers » les couches superficielles de la peau et donc une évaluation de la profondeur), soit une combinaison de ces deux techniques. Elle permet de repérer des cancers de la peau de manière plus précoce et de diminuer le nombre d’exérèses inutiles10, notamment en améliorant la surveillance (l’absence d’évolutivité d’une lésion étant un signe de réassurance) (Figures 1, 2, 3).
Figure 1 : Kératose séborrhéique de diagnostic clinique difficile, mais avec dermoscopie typique, permettant d’éviter une exérèse inutile.
Elle permet de différencier des lésions malignes (mélanome, carcinomes baso ou spinocellulaire) et bénignes (kératose séborrhéique, hémangiome, lentigo actinique…). Cette technique est très fréquemment utilisée par les dermatologues11, mais de nombreuses études montrent qu’elle est tout à fait accessible à des médecins généralistes12-16 après une formation minimale17.
Figure 2 : Mélanome de 3 mm de longueur présentant déjà des critères dermoscopiques typiques.
Il est en particulier démontré que la performance des médecins généralistes n’est pas inférieure à celle des dermatologues à durée de formation et fréquence de pratique équivalentes (étude « Creation and evaluation of an online dermoscopy test for selfevaluation of competences in diagnosis of skin cancer18 »). La formation des médecins généralistes a permis un repérage plus précoce des mélanomes, avec un indice de Breslow équivalent à celui de dermatologues libéraux (étude « Empowerment of primary care medicine in early melanoma detection : the experience of the Association of French GPs practicing Dermoscopy » en cours de soumission). Elle est également très utile dans d’autres pathologies, en particulier pour le diagnostic de la gale19.
Figure 3 : Mélanome de diagnostic possible en dermoscopie mais ne présentant encore aucun signe patent clinique.
De nombreux modèles existent (Figure 4), de prix très différents. Il convient d’opter pour un dispositif permettant de prendre les photos en immersion (en collant son dermoscope sur la peau du patient, avec un gel/liquide d’interface) et disposant d’une lumière polarisée et non polarisée. La prise de photos se fera grâce à un appareil photo ou un smartphone. Des bagues magnétiques existent pour faciliter l’interface entre l’appareil photo et le dermoscope.
CE QUI CHANGE
La démographie médicale est en baisse, particulièrement en dermatologie20, et les médecins généralistes se trouvent confrontés à des difficultés d’accès pour leurs patients en face de lésions cutanées suspectes, ou pour assurer le suivi de patients ayant déjà eu un ou plusieurs cancers de la peau. La télé-expertise est un dispositif mis en place par l’Assurance maladie et accessible à tous les médecins pour tous les patients depuis le 1er juillet 2023. Elle permet à un médecin de solliciter l’avis d’un confrère, les deux professionnels étant rémunérés (pour le requérant, cotation RQD, 10 euros ; pour le requis, cotation TE2, 20 et 23 euros dans la nouvelle convention médicale)21. Devant la difficulté d’accès au dermatologue et profitant de cette fluidification du parcours de soin que constitue la télé-expertise, de nombreux médecins généralistes se forment au dépistage des cancers cutanés, via des organismes de développement professionnel continu (DPC)22 ou des diplômes universitaires23. Ces formations demandent la plupart du temps au minimum 14 h (2 journées, parfois espacées de plusieurs mois). Ce positionnement des médecins généralistes comme acteurs dans le repérage précoce des cancers cutanés est d’ailleurs reconnu comme positif par la Haute Autorité de Santé (HAS)24, la Société Française de Dermatologie (SFD)25, le Collège National des Généralistes Enseignants (CNGE)26. Plusieurs cotations existent pour les médecins formés et pratiquant régulièrement la dermoscopie :
- L’APC (avis ponctuel consultant) en cas de demande d’avis d’un confrère via un courrier d’adressage, pour un patient n’ayant pas été vu et n’ayant pas vocation à être revu dans les quatre mois, avec un courrier de réponse.
- La cotation QZQP001 est également utilisable, mais uniquement pour les patients ayant déjà eu un mélanome de manière personnelle ou familiale au premier degré, ou pour les patients atteints d’un syndrome des nævus atypiques.
L’Association des Généralistes Dermoscopistes Français27, association Loi 1901, a été créée en 2021 pour promouvoir la pratique de la dermoscopie et du dépistage des cancers cutanés chez les médecins généralistes. Le groupe Facebook de l’association28 compte, au 6 avril 2025, 3 509 adhérents témoignant d’une dynamique prometteuse.
Figure 4 : Dermoscopes. À gauche Dermlite DL4, au centre Heine Delta One, à droite Casio DZ-100.
CE QUE NOUS FERONS
De nombreux travaux de thèse et d’articles sont en cours, visant à améliorer la formation des médecins généralistes dans ce domaine, à mieux évaluer leurs connaissances (étude « Creation and evaluation of an online dermoscopy test for self-evaluation of competences in diagnosis of skin cancer18 ») et à montrer leur investissement dans le dépistage des cancers cutanés (étude « Empowerment of primary care medicine in early melanoma detection : the experience of the Association of French GPs practicing Dermoscopy » en cours de soumission).
L’augmentation du nombre de médecins généralistes formés au dépistage des cancers cutanés et à la dermoscopie semble confirmer l’apparition de « médecins généralistes avec un intérêt particulier » en dépistage des cancers cutanés, comme cela existe pour la pédiatrie ou la gynécologie. Ne remplaçant pas le dermatologue, mais permettant de désengorger celui-ci des cas les moins graves, cette pratique devrait entraîner un meilleur adressage chez nos collègues dermatologues, permettre une réduction des délais de rendez-vous et un repérage plus précoce des cancers cutanés.
Cette montée en puissance de la dermoscopie en soins primaires est internationale ; le 7e Congrès International de Dermoscopie, qui se tiendra à Lyon en 2027, aura à cœur d’inclure pleinement les médecins généralistes29.
Conclusion
- CE QUE NOUS FAISONS
En France, les dermatologues sont les médecins généralistes de la peau, et le repérage précoce des cancers de la peau n’est que peu investi par les médecins généralistes. - CE QUI CHANGE
La baisse démographique, couplée à la montée en puissance de la télé-expertise et des offres de formations, renforce le rôle du médecin généraliste dans ce repérage précoce des cancers cutanés, en particulier grâce à l’apprentissage de la dermoscopie. - CE QUE NOUS FERONS
À l’avenir, une collaboration plus étroite entre dermatologue et médecin généraliste aura lieu, permettant un adressage plus précoce des cas douteux, une diminution des adressages systématiques et une diminution des délais de recours au dermatologue, malgré une démographie contrainte.
Dr Julien Anriot
Département de Dermatologie, Centre Léon Bérard, Lyon
Pr Luc Thomas
Département de Dermatologie, Hôpital Lyon Sud, Hospices Civils de Lyon, Pierre-Bénite
Les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt.
Ce travail a été soutenu en partie par des subventions de l'Université Lyon 1 Claude Bernard, des Hospices civils de Lyon et de l'Association Vaincre le mélanome.
Références
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- Institut National du Cancer. Survie des personnes atteintes de cancer en France métropolitaine 1989-2018 - Synthèse des résultats : tumeurs solides et hémopathies malignes. 2021. https://www.santepubliquefrance.fr/docs/survie-des-personnes-atteintes-de-cancer-en-france-metropolitaine-1989- 2018-melanome-de-la-peau
- Haute Autorité de Santé. Rapport d’orientation sur les facteurs de retard au diagnostic du mélanome cutané. 2012. https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2013-01/synthese_du_rapport_dorientation_facteurs_de_retard_au_diagnostic_du_melanome_cutane.pdf
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- CNGE. Dépistage systématique des cancers cutanés: une fausse bonne idée ? Avis du conseil scientifique du collège national des généralistes enseignants, 2024. https://www.cnge.fr/wp-content/uploads/2024/06/240606_CS_dermato_vsite.pdf
- Association des Généralistes Dermoscopistes Français. Site internet. https://www.helloasso.com/associations/association-des-generalistesdermoscopistes-francais
- Association des Généralistes Dermoscopistes Français. Page Facebook. https://www.facebook.com/groups/475003700493511/
- 7th World Congress of Dermoscopy. https://www.ids-wcd2027.com/